Le management désincarné désigne le recours
à des dispositifs de gestion et de planification de la performance d’une
entreprise et de ses salariés. Cette nouvelle forme d’encadrement peut avoir
des conséquences, tant du point de vue de la conception de l’activité de
travail, que du bien-être psychologique des salariés. Par Nolwenn Anier,
docteure en psychologie et directrice du pôle recherche chez MOODWORK.
Le
management désincarné est une nouvelle forme d’encadrement, caractérisée par la
mise en place de dispositifs qui visent à imposer une uniformisation des
objectifs et de l’organisation du travail. Selon la sociologue Marie-Anne
DUJARIER, ces nouveaux outils, qui prospèrent dans les entreprises, sont
critiqués tant par les salariés, qui ont l’impression de ne travailler que pour
satisfaire des indicateurs quantitatifs, que par les dirigeants, qui dénoncent
une » bureaucratisation » du travail. Mais la mise en place de ces
dispositifs n’affecte pas que l’organisation du travail. Elle affecte aussi les
individus et la manière dont ils perçoivent leur travail et leur position dans
l’entreprise.
Pour comprendre cette notion, il est
essentiel de revenir sur un concept fondamental en psychologie : l’identité
sociale. Selon le chercheur en psychologie Henri TAJFEL, une personne se
définit en partie sur la base des catégories sociales auxquelles elle
appartient (femme, français, trentenaire, actif…). Nous n’aurions donc pas une
mais plusieurs identités. Selon l’environnement dans lequel cette personne se
trouve et les individus qu’elle y côtoie, sa façon de se définir va ainsi
changer. Par exemple, si vous vous trouvez en ce moment même dans un pays
étranger, vous vous définissez sans doute davantage sur la base de votre
identité nationale ( » e suis Français/Belge/Canadien… ») Que lorsque vous êtes
dans votre pays d’origine. En revanche, si vous êtes une femme et que vous vous
trouvez dans une situation où vos interlocuteurs sont majoritairement des
hommes, l’identité de femme est sans doute particulièrement saillante dans
votre esprit.
Ø Perte d’identité et
mal-être professionnel
Mais revenons-en au travail. De la même
façon que nous nous définissons en partie sur la base de notre genre, de notre
nationalité, de notre âge etc., nous le faisons aussi sur la base de notre
profession. D’après les recherches en psychologie, l’identité professionnelle
se développe au fur et à mesure de notre socialisation dans l’environnement de
travail. Elle se fonde notamment sur le sens qu’une personne accorde à son
activité, mais aussi sur la reconnaissance qu’elle reçoit quant à ses savoirs,
ses compétences et son image. Or, les outils « désincarnant » de management
vont justement influer sur ces différents facteurs.
Le discours des salariés montre en effet
que ces dispositifs changent la finalité même du travail : là où on travaillait
auparavant par besoin, par conviction, par intérêts, par solidarité avec son
équipe, on travaille désormais prioritairement sur la base d’objectifs
arbitraires et abstraits. Et du coup, c’est l’identité professionnelle des
personnes qui se vide de son sens. À la fois l’identité des salariés, qui
doivent considérer le fruit de leur travail en fonction d’indicateurs rigides
et parfois peu adaptés, mais également l’identité professionnelle des managers,
ces mêmes indicateurs transformant leur fonction d’encadrement en fonction de
reporting. Résultent de cette perte d’identité une baisse de l’estime de soi,
une augmentation des risques de dépression et d’épuisement et plus
généralement, une diminution du bien-être professionnel.
Ø Maintenir ou de
restaurer un lien entre le management et ses équipes
Comment faire, alors, pour éviter les
conséquences psychologiques de cette nouvelle forme de management ? La perte
d’identité associée à la mise en place de dispositifs de « management
désincarné » est en premier lieu la conséquence d’une perte du sens du travail.
Or, le sens que chacun donne à son travail est le fruit de son vécu, de ses
expériences précédentes, de ses attentes individuelles. Dans la mesure où ces
outils sont imposés par l’entreprise, celle-ci doit aussi faire en sorte que
chaque salarié ait la possibilité d’être accompagné individuellement vers une
redéfinition de son identité professionnelle.
Cette perte de sens se traduit également
par une diminution de la confiance mutuelle entre salariés et managers : peur
que les objectifs ne soient pas remplis, peur d’être » fliqué « peur que sa performance soit
source de reproche, etc. Dans ce cadre, il est essentiel que la mise en place
de ces dispositifs s’accompagne de la création d’espaces de libre expression
des besoins et des ressentis individuels, afin de maintenir ou de restaurer un
lien entre le management et ses équipes. Cela permet au manager de retrouver sa
fonction d’encadrement et aux salariés de retrouver une finalité du travail qui
ne soit pas quantifiée et objectivée.
A props de l'article :
Nolwenn Anier est docteure en psychologie et dirige le pôle recherche de Moodwork, solution digitale
pour la qualité de vie au travail. Moodwork est une plateforme web et mobile
qui permet aux salariés d’améliorer leur bien-être au travail grâce à l’analyse
de leurs besoins, à des contenus personnalisés et à un accompagnement
individuel avec des psychologues du travail.